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au large de l’écueil

tes. Le vapeur approche toujours : le battement des roues domine le chant des fidèles. Les bestioles fragiles, dont le gîte est quelque part dans les profondeurs du quai, s’enfuient, effrayées par la rumeur grandissante. Un marin, immobile sur le pont d’une goélette vieillotte, regarde venir le bateau sans émotion visible sur son visage criblé de rides.

— Je veux savoir d’où ils viennent ! s’écrie Jeanne.

— Mais tu le sais bien, petite sœur ! répond Jules, que le spectacle impressionne. Regarde les habits noirs des hommes et les coiffures campagnardes des femmes ! C’est l’ « habitant » Canadien-Français qui vient implorer la grande sainte !… Peu importe d’où il vienne, de Lotbinière ou de l’Islet, des campagnes anciennes ou des colonies nouvelles… Il a le teint fané : souvent, la terre l’a marqué d’une empreinte morne… Il a les mains balafrées, les ongles écrasés… Son épaule s’est tordue… C’est que, toute la semaine, il est l’esclave de la tâche dure et noble du sol… Mais, le dimanche, il se transforme, il se couvre d’une chemise fleurant la lavande et d’une serge pimpante, attelle sa meil-