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au large de l’écueil

foison, des Irlandaises savoureuses et des Anglaises aux traits classiques, des allures gracieuses et des échines pesantes, des fleurs infinies sur les chapeaux à grande envergure et des tulles qui flottent, des profils usés par l’âge et des quelques visages graves noyés dans l’insouciance et la joie des alentours, des fronts intelligents et des bouches stupides, des Américaines étalant leur faste au milieu des humbles parures, des gamins que rien ne lasse et n’arrête, des tissus clairs et des tons mal assortis, des bourgeois simples et des commis merveilleusement parés, des mains difformes et des doigts effilés, des grisettes souriant à travers les cosmétiques et des quelques anciens ménages dont la tendresse n’a pas vieilli, des pieds énormes et des talons menus, des colosses dans les airs et des nains sous terre, des bougies roses au café regorgeant de jouisseurs, des feux électriques dont la traînée rouge, verte et blanche ondule au-dessus de la longue balustrade.

Adossés mollement à l’un des bancs que les veinards monopolisent, Jules et Marguerite, oubliant la foule dont la rumeur leur semble vague et fuir au loin, laissent pénétrer en eux la paix du Saint-Laurent calme. On dirait qu’il songe.