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au large de l’écueil

— J’ai failli ne jamais vous connaître ! s’écria-t-elle, devenue très pâle.

Cette émotion spontanée, vraie, inattendue, troubla profondément le jeune homme. Une tristesse, inconnue jusqu’alors, lui tomba dans le cœur… Il lui fallait dire quelque chose… Expliquer comment ils s’étaient sauvés lui parut ridicule. Il comprit qu’il ne devait pas révéler à sa compagne le bouleversement qui le tenait. Il réalisa, confusément, dans une de ces secondes où le passé nous accourt à une allure vertigineuse, quelle place elle avait prise en lui, quel souvenir la Parisienne laisserait derrière elle… Tant de choses lui faisaient oublier qu’elle était Voltairienne : l’imprévu de son esprit, la richesse de son intelligence, l’honnêteté de son âme, la grâce de ses mouvements, la lumière de son sourire, le raffinement de son langage, la sympathie toujours sur le qui-vive, l’intérêt passionné qu’elle avait eu tout de suite pour la race canadienne-française. Elle avait ces grands yeux qui veulent tout comprendre… Et quand elle les dirigeait vers lui, avides de ses paroles, il sentait que celles-ci devenaient plus chaudes, plus vibrantes, souvent plus douces… Une chevelure