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au large de l’écueil

venu étancher la soif. Depuis qu’elle avait été broyée par ce malheureux amour, maintenant que la lame s’émoussait, tranchait moins dans la chair vive de son cœur, elle éprouvait des aspirations plus brûlantes encore vers la grande joie nécessaire que le plus intime de nous-même réclame et veut. Ce n’était plus l’amour qui travaillait son âme, il était immolé. Quelle était cette attente d’allégresse hors l’amour ? Si c’était vrai, l’au-delà, gouffre d’extase, apaisement de l’être, nourriture d’éternel Amour ? L’humanité devenait-elle meilleure sous le sceptre de la Libre-Pensée ? Parmi ses fidèles, y avait-il moins de haine, moins de vilenie, moins de traquenards, moins de bestialités, plus d’essor vers les cimes ? L’immolation au bonheur de tous ne serait-elle qu’une supercherie leurrant un petit nombre, débordé par la masse des brutes et des égoïstes ?

Tout d’abord violentée par l’agonie de son rêve, elle s’effraya peu de la menace de devenir aveugle. Quand on lui ceignit les yeux d’un bandeau écrasant, elle espéra qu’elle allait guérir. Mais au cours de ces ténèbres denses, elle écouta plus volontiers les murmures divins plus impérieux dans le silence en elle-même, et Dieu s’em-