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au large de l’écueil

chose d’irréel, de fantastique. Il écoute le langage aimé des choses familières. Il est là toujours, le bon lit où tant de fois la lumière l’éveilla par un rayon de soleil ou la tristesse d’un nuage gris. Il court aux livres préférés qui, sur la table de chêne antique, attendent le frôlement pieux de ses doigts. C’est ici qu’il a pris les résolutions fortes de l’avenir, qu’il a mûri son vœu de lui-même, à l’âme canadienne. Encore sous l’influence des mâles paroles par lesquelles il vient d’apaiser les terreurs de Jeanne, il se sent inébranlable, maître de sa pensée, de son énergie combative. Soudain, un coup lui frappe dans le cœur. Ses yeux se fixent éperdument sur le portrait de la jeune fille de Greuze. Elle lui sourit dans l’humble cadre. Est-ce l’amour, cet appel de tout son être vers la douce image, ces battements dans la poitrine, cette contemplation longue de chaque trait, chaque détail, chaque ligne du fin visage ? Ce n’est plus le rêve sentimental de l’adolescent, la Princesse Lointaine du poète, le mirage d’idéal. C’est Marguerite et le charme de ses grands yeux pleins de caresses, et le dessin pur de ses lèvres, et la noblesse de son front méditatif, et les lueurs fauves de la chevelure brune. Il revit la