Page:Bernier - Ce que disait la flamme, 1913.djvu/129

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’inachevé. Jean éprouve qu’il n’étreint pas tout, que sa conception n’est pas aussi lucide qu’il tâche de la rendre. Il y a des profondeurs qui se dérobent, il demeure superficiel. Ce qu’il reproche à Lucien ne cesse pas d’être vague : et si on lui demandait ce que Lucien devrait être, ne s’en tiendrait-il pas à des généralités insuffisantes ? Ne fait-il pas de grands gestes dans le vide ? Peut-être un idéalisme creux l’a-t-il attendri… Il ne sent plus d’aigreur : l’exaltation de cœur se repose. Sa propre nonchalance fut-elle moins lourde ? N’y aurait-il pas de l’injustice à flétrir un autre homme de lâchetés qu’il doit retourner contre lui-même ? Il fut, sans doute, admirable de promettre de l’effort et de l’amour : consacrera-t-il à vouloir une énergie fidèle ? Incapable, en ce moment, de préciser avec force une vision de fraternité canadienne-française qui est trop nuageuse, trop vaste, trop peu réalisable, ressaisi par l’indifférence habituelle, il ne lutte pas contre le relâchement des nerfs, l’affaissement du courage. La tristesse inonde son être, l’empoigne…

L’antipathie contre Lucien Desloges s’émousse : à quoi servirait-il de lui disputer l’âme d’Yvonne ? La jeune fille ne cause-t-elle pas avec la plus douce exubérance ? Il lui semble même qu’elle y glisse de la provocation. Tant d’égoïsme insolent