Page:Bernier - Ce que disait la flamme, 1913.djvu/158

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tait, se mêlant à leur ivresse au fond de son âme. Il essaya, le plus habilement possible, de faire séduire les invités par la magie de l’heure : « Qu’il fait, beau ! » s’écria une jeune fille, impulsivement. « Il fait très beau ! » répéta un jeune homme, beaucoup moins enthousiaste. Après un regard quelconque et plus ou moins furtif sur le Saint-Laurent, tous les yeux le désertèrent. La conversation, jusqu’à ce moment d’une envolée très souple, venait de tomber, les ailes coupées. Une gêne pesa quelques secondes : il n’y avait déjà plus rien à dire sur tant de soleil, de coloris et de parfuma Quelques-uns s’impatientèrent même contre le lourdaud qui brisait le charme. Les sens n’avaient pas frémi, les cœurs n’avaient pas aimé, les imaginations n’avaient pas été ravies. Jean eut l’intuition des indifférences, des petites rancunes : elles l’isolèrent en lui-même, le rendirent triste. Une pensée aggravait sa mélancolie : n’avait-il pas, lui aussi, méconnu l’enchantement des scènes canadiennes ? Il ne pouvait donc faire aux amis le reproche de leur légèreté, de leur froideur. À quoi tenait l’éveil en lui de cette admiration profonde ? Il aurait fallu si peu de hasard pour qu’il ne fût jamais venu. Devait-il même autant s’en réjouir ? De quels sourires apitoyés ces visages n’auraient-ils pas lui, s’il eût osé dévoiler ce réel amour du pays