Page:Bernier - Ce que disait la flamme, 1913.djvu/267

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
256
CE QUE DISAIT LA FLAMME…

porte Jean : ne rappellent-ils pas, les mots qu’il sème avec triomphe, l’orgueilleuse épopée de travail depuis la conquête ? Les ancêtres n’offrirent-ils pas le plus héroïque de leur moëlle et le plus vigoureux de leur sang pour que les fils, au jour de la trêve enfin surgie de l’aurore, eussent toute la justice et toute la liberté d’un grand soleil d’amour ?

Comme elles ont la poitrine à l’aise de le retrouver, le bon soleil canadien, les ouvrières que la maison Renfrew lui redonne après cinq heures d’intense besogne et de fronts captifs ! Une bousculade les mêle en remous charmants, deux langues pareillement gaies crépitent : les jeunes filles dilatent leurs nerfs, caquètent, rient, se nomment, se taquinent, exultent, revivent. Trois d’entre elles, presque sautillantes, leurs bras enlacés, bavardes se sont envolées, de leur pied mince effleurent déjà la rue de la Fabrique. Jean se réjouit de les voir ainsi palpitantes et volages. Elles resserrent leur front de marche pour ne pas rudement jeter hors du trottoir une jeune fille qu’elles rencontrent. Un spasme d’émotion serre le jeune homme au plus aigu de l’âme : il a reconnu la silhouette exquise de Lucile Bertrand. Jusqu’ici flâneur au seuil d’un magasin de tabac célèbre à la Haute-Ville et d’où le regard circule à l’aise, il avance de quel-