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CE QUE DISAIT LA FLAMME…

— À ma place, n’auriez-vous pas eu peur ? Il est encore si peu ce qu’il était. Il a tellement d’orgueil au travail qu’il serait tombé sur place avant de quêter du répit. À toutes les minutes du jour, j’ai eu peur…

— N’est-ce pas avoir un cœur loyal d’ouvrière canadienne-française que d’être affectueuse à ce point ? murmure Jean, plus touché que le calme des paroles ne le témoigne.

— S’il suffit d’aimer son père pour être loyale, je le suis… Mais je me demande pourquoi je suis extraordinaire de l’aimer : je voudrais faire autrement que je ne le pourrais pas.

— On doit aimer son père, très bien… mais l’aime-t-on souvent comme vous l’aimez ?

Lucile dilate vers lui ses yeux profonds d’ébahissement et de doute. Il répète, la voix plus douce, irrésistible :

— Oui, mademoiselle Bertrand… comme vous l’aimez…

— Il est vrai que je l’aime beaucoup, prodigieusement, que je l’aime autant qu’il y a moyen d’aimer… Tant d’autres aiment leur père autant que j’adore le mien ! Il ne faut pas m’en faire un éloge.

— Vous l’aimez comme très peu de jeunes filles aiment, je le sais et j’insiste !

— Comment cela, je vous en prie ?