Page:Bernier - Ce que disait la flamme, 1913.djvu/438

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rait-elle pas avec lui la puissance et l’éclat de sa victoire ? Elle aurait aussi la sensation de l’abîme entre le peuple et elle, se dresserait offensée contre le mariage stupide et inconvenant. Jean déraisonne : est ce qu’on aime l’inférieur ? Quand on ne l’insulte pas, quand on l’a payé, nourri, traité avec droiture, n’est-ce pas la justice et n’est-ce pas assez ? La fortune hausse, transforme, affine, irradie un homme : par la loyauté, l’audace, la renommée, la splendeur, n’a-t-il pas accompli sa tâche envers la race ? Quel est ce dévouement bizarre qu’on lui impose ? Faut il que pour sa race il devienne une espèce ridicule de sauveur, un héros de feuilleton panaché d’idéal ? Il entend déjà gazouiller et frémir les quolibets de ses amis au Club, il voit se dilater voluptueusement leurs sourires : il a l’effroi des envieux féroces dont l’ironie se fera plus joyeuse et plus meurtrière. Un frisson d’épouvante l’ébranle ; l’hostilité contre l’amie de Jean se referme plus étroite sur son âme, comme un étau de glace où elle devient rigide…

À la vue des traits qui se ramassent en une décision brutale, inflexible, des rides noires tendues à la racine du nez, Jean d’abord est fasciné comme par un mystère, inerte d’une paralysie morale. Un malaise bientôt s’insinue à travers son être, y devient intense, fouille le cœur d’une bles-