Aller au contenu

Page:Berrichon - Jean-Arthur Rimbaud, 1912.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
304
JEAN-ARTHUR RIMBAUD

ses beaux-parents tantôt il refusait de m’accompagner, parce que Paris lui rappelait de trop tristes souvenirs ; il était dans un état d’exaltation très grande ; cependant il insistait beaucoup auprès de moi pour que je restasse avec lui ; tantôt il était désespéré, tantôt il entrait en fureur ; il n’y avait aucune suite dans ses idées. Mercredi soir, il but outre mesure et s’enivra. Jeudi matin, il sortit à six heures il ne rentra que vers midi, il était de nouveau en état d’ivresse ; il me montra un pistolet qu’il avait acheté, et, quand je lui demandai ce qu’il comptait en faire, il répondit en plaisantant : « C’est pour vous, pour moi, pour tout le monde ! » Il était fort surexcité.

Pendant que nous étions ensemble dans notre chambre, il descendit encore plusieurs fois pour boire des liqueurs ; il voulait toujours m’empêcher d’exécuter mon projet de retourner à Paris. Je restai inébranlable, je demandai même de l’argent à sa mère pour faire le voyage ; alors, à un moment donné, il ferma à clef la porte de la chambre donnant sur le palier, et il s’assit sur une chaise, contre cette porte ; j’étais debout adossé contre le mur d’en face ; il me dit alors « Voilà pour toi, puisque tu pars ! » ou quelque chose dans ce sens ; il dirigea son pistolet sur moi et m’en lâcha un coup qui m’atteignit au poignet gauche ; le premier coup fut presque instantanément suivi d’un second, mais cette fois l’arme n’était plus dirigée contre moi, mais abaissée vers le plancher.

Verlaine exprima immédiatement le plus vif désespoir de ce qu’il avait fait ; il se précipita dans la chambre contiguë, occupée par sa mère, et se jeta sur le lit ; il était comme fou, il me mit son pistolet entre les mains et m’engagea à le lui décharger sur la tempe ; son