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Page:Berrichon - Jean-Arthur Rimbaud, 1912.djvu/94

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JEAN-ARTHUR RIMBAUD

vitaillaient ; apaisant mal ses faims de détritus fruitiers et trompant durement sa lassitude par des sommeils sous les ponts ou dans des bateaux à charbon ; et cela jusqu’au moment où, mourant littéralement de misère, il se résigna à sacrifier sa liberté en faveur de sa vie, à reprendre à pied le chemin des Ardennes.


Sur les routes, par des nuits d’hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon cœur gelé : « Faiblesse ou force : te voilà, c’est la force. Tu ne sais ni où tu vas, ni pourquoi tu vas ; entre partout, réponds à tout. On ne te tueras pas plus que si tu étais cadavre. » Au matin, j’avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu[1].


Il venait d’éprouver, l’adolescent plein d’appétit, que la Grand’Ville, la Ville-lumière, est pour l’infortuné sans amis le plus sombre, le plus impitoyable et le plus mortel des déserts. Une amertume sévère d’homme plisse, en son visage enfantin, la bouche de passion et, jalousé par le ciel, ses yeux d’ange reflétant un vouloir de félicité universelle, il marche, il marche, face à t’aube, à travers cette région française dévastée par la guerre exécrable et occupée par l’Allemand.

  1. Une Saison en Enfer.