Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/218

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Trop sensible est le coup qui ta poitrine entame,
Et trop de sentiment vid dedans ta belle ame :
Tu l’aymois trop, Daphnis, lors qu’il estoit vivant,
Et l’amour et la foy dont il t’alloit servant
Brusloit en son esprit d’une flamme trop sainte
Pour le voir maintenant, sans larmes et sans plainte,
Par un meurtre inhumain au cercueil estendu
Nager dedans son sang pour toy seul espandu.
Car si plus que sa vie estimer ton service,
Si ses plus beaux desirs t’offrir en sacrifice,
Ne respirer que toy, ta gloire et ton repos,
N’avoir autre penser, n’avoir autre propos :
Suffit aux habitans de ceste ronde masse
Pour acquerir tant d’heur qu’ils puissent de ta grace
Meriter en vivant quelque effect d’amitié,
Meriter en la mort quelque trait de pitié,
Rien jamais de ton cœur et de tes yeux augustes
Ne tira des regrets ny des larmes plus justes.
Mais si ne faut-il pas que ton cœur abbatu
Laisse au faix de ce mal accabler ta vertu,
Ny que servilement ta constance enchainee
Soit par ceste douleur en triomphe menee.
Bien est ta perte grande en un si grand malheur,
Mais plus grand est encor le nom de ta valeur
Dont il faut que la gloire abolisse et consume
De ces cuisans soucis la dolente amertume,
Et que tous les torrens de douleur et d’ennuy
Que maint orage humain apporte quand et luy,
Fussent-ils assez grands pour noyer de leur onde
Les plus fermes esprits qui regentent le monde,
Coulez en ta belle ame et dans ce brave cœur
De qui rien de mortel ne deust estre vainqueur,
Soudain soient devorez, sans que tout leur orage
Puisse troubler la paix d’un si noble courage.
Non autrement qu’on voit le Danube allemand,
Ou le Nil dont le cours se va tant renommant,
Ces deux fleuves fameux qui sortans de leurs couches
Vomissent jour et nuit par sept diverses bouches