Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/303

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Que sans jamais soüiller ta couche nuptiale,
Je t’ay gardé la foy d’une épouse loyale :
Ainsi me soit propice ou severe la loy
Du divin tribunal prest à juger de moy.
Nos entretiens meslez d’un plaisir legitime,
Encor que sans prudence, ont tous esté sans crime :
Un jour tu le sçauras, et cognoistras qu’à tort,
Poussé d’un faux soupçon, tu m’as donné la mort.
Mais je te la pardonne, et de mesme clemence
Prie au ciel que les loix t’en remettent l’offence,
N’exigeant rien de toy sinon qu’un juste dueil
Bien tost t’ameine en pleurs sur mon triste cercueil,
Y confesser qu’à tort tu m’as l’ame ravie,
Et me rendes l’honneur m’ayant osté la vie.
À ces mots tournant l’oeil sur un sien enfançon,
Et bien que ja son corps ne fust plus qu’un glaçon,
Les ressorts plus vivants de l’amour maternelle
Se mouvans en son cœur : ah ! Pauvre enfant, dit-elle,
Ah, mon juste regret : c’est toy, chetif, c’est toy
Que ce malheureux coup attaint autant que moy,
Bien que les tendres ans de ta debile enfance
Ne te permettent pas d’en avoir cognoissance.
Si de quelque autre main j’avoy receu la mort,
Je te dirois, mon fils, quand un âge plus fort
Voudra que ta valeur ses outrages ressente,
Cherche à vanger le sang de ta mere innocente :
Rends un jour de tant d’heur mon esprit consolé,
Que de voir mon meurtrier sur ma tombe immolé :
Mais en cet accident, c’est outrager ton pere
Que de vouloir venger l’outrage de ta mere :
Tu t’en vois retenir par le mesme devoir
Dont les justes raisons t’y devroient émouvoir,
Et n’y peux (quelque temps que ton ame en épie)
Monstrer ta pieté qu’en te monstrant impie.
C’est pourquoy, quand le ciel te fera souvenir
Du malheureux trespas dont tu me vois finir,
Ramentoy quant et quant l’autheur de ta naissance :
Et puis que du destin l’eternelle ordonnance