Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/313

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Desja l’humide nuict du ciel se precipite,
Et maint astre tombant au sommeil nous invite :
Mais puis qu’estans nos maux la fable de nos jours,
Tu sens un tel desir d’en apprendre le cours,
Et d’ouïr reciter la derniere avanture
Qui fait le lieu de Troye estre sa sepulture,
Je vay te les compter, quoy que m’en souvenant,
Mon ame avec horreur s’en aille destournant.
Rompus du faix de Mars supporté tant d’annees,
Chassez et par le ciel, et par les destinees,
Et despouïllez d’espoir, aussi bien comme las,
Les conducteurs des grecs font par l’art de Pallas
Construire de sapins sçavamment joincts ensemble
Un cheval qui de taille aux monts presque ressemble :
Et feignans le payer pour vœu de leur retour,
En font voler le bruit par les champs d’alentour.
Mais dans ceste forest en cheval transformee
Ils logent en embusche une petite armee
D’hommes tirez au sort d’entre les plus vaillans
De tant de regimens nos remparts assaillans,
Et de soldats armez remplissent en cachettes
De son grand ventre creux les cavernes secrettes.
Non loin des champs de Troye a rendus si fameux,
Tenede oppose aux flots son rivage écumeux,
Isle riche et feconde au temps que la Phrygie
Par les loix de Priam en paix estoit regie :
Maintenant ce n’est plus que la face d’un port
Mal fidele aux vaisseaux qui surgissent au bord.
Là se cacherent-ils sur la rive deserte,
Dans un sein dont leur flotte estoit ceint et couverte :
Au lieu que nos esprits abusez d’un tel art,
Estimoient ceste ruse estre un entier depart,
Et croyoient, imprudens, le vol de leurs carenes
Les porter sur les flots aux havres de Mycenes.
Alors tout Ilion se descharge du dueil,
Qui fournit si long-temps des larmes à son oeil :
Les portes de la ville aussi tost sont ouvertes :
On se plaist d’aller voir et les places desertes