Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/322

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Ce present de Minerve, une infortune extrême
(que Dieu vueille plustost destourner sur luy-mesme)
Iroit de fonds en comble à la fin renversant
L’empire d’Ilion tant soit-il fleurissant.
Au lieu que si par art l’ayant rendu mobile,
Vous les trainiez vous-mesme au sein de vostre ville,
Un jour l’Asie armee iroit de toutes parts
Assieger à son tour les argives remparts :
Et que ce ferme arrest des sainctes destinees
Estoit inevitable aux futures annees.
Pipez d’un tel discours, bien que feint et menteur,
Nous croyons ceste fraude, en caressons l’autheur :
Et sont vaincus par l’art, et forcez par les larmes
Du parjure sinon, ceux que les fieres armes
De Tydide, et d’Achille, et deux fois cinq estez,
Et dix fois cent vaisseaux n’avoient point surmontez.
Mais sur cet accident, l’object espouvantable
D’un bien plus grand prodige et bien plus redoutable
S’offrit à nostre veuë, et troubla nos esprits
Par l’effroy non préveu dont ils furent surpris.
Le prompt Laocoon, qu’à l’heure la fortune
Avoit esleu par sort pour prestre de Neptune,
Trempoit l’autel du dieu, non loin du flot salé
Du sang d’un grand taureau sur la rive immolé :
Quand voila deux serpens (seulement la memoire
M’en fait trembler d’horreur, racontant ceste histoire)
Démarent de Tenede, et sur l’eau déployants
Les tours desmesurez de leurs dos ondoyants,
Fendent la mer tranquille, en passent l’onde à nage,
Et d’une égalle ardeur tendent vers le rivage.
Leur superbe estomach s’esleve sur les flots :
Cent bizarres couleurs en peinturent le dos :
Ils font rougir de sang les pointes de leurs crestes :
Et dressent haut en l’air leurs effroyables testes :
Le reste ondoye apres sur la face des eaux,
Courbant en de grands ronds les horribles cerceaux
Dont leur dos écaillé voûte sa fiere échine,
Et fait en écumant bruire l’onde marine.
Ja