Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/331

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Infinis hommes morts, infinis que l’on tuë,
Tous sanglants, tous bruslez, gisent emmy la ruë :
Et jonchent de leurs corps en fureur massacrez,
Les portaux des maisons et des temples sacrez.
Bien que les teucres seuls estendus par la voye
Ne versent pas leur sang sur le pavé de Troye :
Quelquefois la vertu refleurit en leurs cœurs :
Quelquefois les vaincus font tomber les vainqueurs.
Par tout regne la plainte : et parmy le carnage
La mort monstre par tout son effroyable image.
L’ennemy que le sort nous offre le premier,
C’est le grec Androgee orné d’un haut cimier,
Et fierement suivy d’une nombreuse escorte,
Qui nous tenant pour grecs, nous parle en ceste sorte :
Hastez-vous, compagnons : hé quelle lascheté
A tenu vostre pas si long temps arresté ?
Les autres ravissans emportent les pergames,
Emportent Ilion par le milieu des flames :
Et vous, au lieu de vaincre et butiner comme eux,
À peine vous partez du rivage escumeux.
Cela dit, aussi tost (pource que sa semonce
Reçoit une ambigue et mal seure response)
Voyant bien que son pied l’a porté par erreur
Entre ses ennemis, il reste plein d’horreur :
L’image du peril toute audace luy volle,
Et luy fait retirer les pas et la parole.
Comme quand par les bois quelqu’un presse en marchant
Un serpent non preveu sous l’herbe se cachant :
Il fuit palle de crainte aussi tost qu’il l’advise,
Les yeux rouges du feu que sa colere attise,
Se dresser contremont, horriblement siffler,
Et son cou de gris-bleu superbement enfler.
Ainsi la froide peur qui conseille la fuite
Retiroit Androgee au milieu de sa suite :
Quand nous jettans sur luy, nous luy donnons la mort :
Et puis chargeons sa bande avec un tel effort,
Que de tous les costez l’ayant enveloppee,
Nous la faisons tomber sous les coups de l’épee,