Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/342

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Qui des grecs apprehende un rude chastiment,
Et qui craint son époux laissé si méchamment,
La commune furie, et l’erinne fatale
De Troye et des citez de sa terre natale,
Se tenoit là cachee à l’abry des autels,
Odieuse à l’esprit des dieux et des mortels.
Soudain un ardant feu s’embrase en mon courage
Dont la fureur m’exhorte à venger le naufrage
De ma chere patrie, et punir sans pitié
Les forfaits d’un esprit si plein de mauvaistié.
Quoy ? (disois-je à part-moy) ceste ingrate et meschante
Reverra donc sa Sparte heureuse et triomphante :
Reverra son époux repris en ses filets :
Son pere, ses enfans, ses parens, ses palais,
Pompeusement suivie et de dames de Troye,
Et de serfs phrygiens ainsi que de sa proye ?
Cependant nos remparts se seront veus raser,
Priam renverser mort, Ilion embraser,
Et le sang tant de fois baigner la large plaine
Du sablonneux rivage où Xanthe se promeine ?
Non, il n’en sera rien : car bien qu’en se soüillant
Dans le sang d’une femme, on n’aille recueillant
Nul renom memorable, et que telle victoire
N’apporte quant et soy ny loüange ny gloire,
Siseray-je prisé d’avoir avec mes mains
Arraché ce malheur du milieu des humains,
Chastiant les forfaits d’une si mauvaise ame :
Et seray consolé, soulant l’ardante flame
Des saincts desirs vengeurs en mon cœur allumez,
Et les cendres des miens tristement consumez.
Tels discours en fureur m’agitoient la pensee,
Et desja m’emportoit ceste ardeur insensee :
Quand plus claire et luisante en un nuage d’or
Que mes foibles regards l’eussent point veuë encor,
L’alme Venus ma mere escartant l’ombre obscure,
Me presente emmy l’air sa celeste figure,
Et s’advoüant deesse, apparoist à mes yeux
Telle en gloire et grandeur qu’elle se monstre aux dieux,