Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/345

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Des plus fiers ennemis entre mille trespas,
Les flammes et les dards faisants place à mes pas.
Mais quand en cheminant j’euz attaint le portique
Du sejour paternel, nostre demeure antique,
Mon pere qu’avant tout je cherchois d’enlever
Dessus les monts voisins, et le premier sauver,
Refuse constamment de vouloir plus estendre
La course de ses jours, Troye estant mise en cendre :
Et vagabond souffrir en l’hiver de ses ans
Un exil sans retour plein d’ennuis si cuisants.
Vous autres (nous dit-il) de qui la force entiere
Garde encor la vigueur de sa trempe premiere,
Et dont le jeune sang fume encor de chaleur,
Sauvez-vous par la fuitte et trompez le malheur.
Si les dieux immortels eussent eu quelque envie
De me voir prolonger le filet de ma vie,
Ils m’eussent conservé le sejour de ces lieux.
C’est assez, voire trop, qu’avoir veu de mes yeux
Un sac de nostre ville, et l’avoir survescuë
Une heure seulement et captive et vaincuë.
Vous, quand vous aurez dit dessus ce pauvre corps
Le triste adieu dernier qu’on dit aux palles morts,
Retirez-vous de moy tout tremblant et tout blesme.
Je trouverray la mort avec ma dextre mesme.
L’ennemy qui premier despoüiller me viendra,
Prendra pitié de moy : sinon, peu m’en chaudra :
La perte de la tombe est un petit dommage.
Long temps a qu’en langueur je traine icy mon âge
Inutile à moy-mesme, et non aymé des cieux,
Depuis que le grand roy des hommes et des dieux
Fist siffler en courroux comme un trait de tempeste
L’ardant vent de sa foudre à l’entour de ma teste.
Ainsi nous respond-il fiché dans son dessein :
Et nous, moites des pleurs qui nous baignent le sein,
Moy, ma femme, et mon fils imitant nostre plainte,
Et toute la maison du mesme dueil atteinte,
Le prions au contraire, et de ne vouloir point
En se perdant ainsi nous perdre de tout point,