Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/347

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Cela dit, je receins mon coutelas trenchant :
Et derechef ma dextre au pavois attachant,
Je me l’entois au bras, et sortois de la porte :
Quand voila mon espouse, en pleurs, et demy-morte,
Qui m’embrassant les pieds m’arreste sur le sueil,
Et me tendant mon fils me dit la larme à l’oeil :
Si tu vas pour te perdre en la perte commune,
Meine nous quand et toy courir mesme fortune :
Si tu mets quelque espoir és armes que tu tiens,
Sauve premierement ta maison et les tiens.
À qui vas-tu laisser au milieu de la flame
Ton petit fils, ton pere, et moy jadis ta femme ?
Jettant ces cris en l’air, elle alloit remplissant
Tout le sein du logis d’un echo gemissant :
Quand un soudain prodige estonnant nos pensees
Transforme en d’autres cris les plaintes commencees.
Car cependant qu’Iule avec ses petis pleurs
Lamentant en nos bras augmente nos douleurs,
Voicy qu’une clarté se redressant en creste
Semble sourdre à l’instant du sommet de sa teste,
Paistre autour de son front ses doux et tiedes feux,
Et sa flamme innocente en lécher les cheveux.
Nous, les croyants brusler, jettons, palles de crainte,
De l’eau d’un surgeon vif sur cette flamme sainte :
Mais lors ravy de joye, Anchise esleve aux cieux
Ensemble avec les mains la parole et les yeux :
Tout-puissant Jupiter, si par quelques prieres
Tu peux estre flechy, tourne à nous tes paupieres :
Regarde-nous sans plus : et si par pieté
Devots à tes autels nous l’avons merité,
Desormais ayde-nous, serene ton visage,
Et vueilles par effect confirmer ce presage.
À peine le vieillard cessoit d’ainsi parler,
Quand avec un grand bruit éclarant dedans l’air
Soudain il tonne à gauche : et le vol d’une estoille
Que la nuict à l’instant détacha de son voile,
Coule du ciel en bas, à sa queuë entrainant
La flamme d’un brandon vivement rayonnant.