Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/349

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Toy, mon pere, avant tout, prens en tes pures mains
Les reliques de Troye, et ses penates saints :
Car moy qui fraischement retourné des allarmes
Degoutte encor du sang espandu par les armes,
Je ne puis desormais sans crime les toucher,
Tant qu’un fleuve d’eau vive ait arrousé ma chair.
Ayant ainsi parlé, je fais soudain estendre,
Avec un vestement de laine molle et tendre,
La peau d’un lion roux sçavamment conroyé
Sur mon espaule large, et sur mon cou ployé :
Puis je courbe au fardeau mon échine pressee.
Ascaigne tient sa main en la mienne enlassee,
Et d’un pas non égal suit son pere en allant :
Creüse vient apres, nos traces refoulant.
Nous suivons les chemins ombreux et solitaires :
Et moy, qu’un peu devant les pointes sanguinaires
De tant de traits volants qui m’accabloient de coups,
Et tant d’esquadrons grecs se ruants contre nous,
N’avoient point estonné, maintenant je m’effroye
Au moindre vent qui souffle, au moindre bruit que j’oye,
Estant de palle crainte égallement transi,
Et pour ma compagnie, et pour ma charge aussi.
Or s’estoient ja mes pas faits voisins de la porte,
Et desja je pensois que plus aucune sorte
De chemins perilleux ne restoit à passer :
Quand un grand bruit de pieds me semblant s’avancer,
Vient frapper mon oreille : et mon pere luy-mesme
Regardant entre l’ombre, et la lumiere blesme
Dont la lune rend l’air sombrement éclarcy,
Fuy-t’en mon fils, dit-il, fuy-t’en viste d’icy :
Ils s’approchent de nous : je voy par l’ombre épaisse
L’airain de leurs pavois estinceler sans cesse.
Lors je ne sçay quel dieu, non amy de mon heur,
Me vient oster l’esprit ainsi troublé de peur :
Car tandis qu’en courant je fuy les advenuës
Des chemins plus batus, et des sentes cognuës,