Mais quoy ? ie contraints mes desirs
Pour l’amour de mes desirs mesme :
Et forcé d’vne loy dont l’empire est supréme,
I’immole à mon honneur ma ioye et mes plaisirs.
Libre du ioug de ceste loy
Mon cœur la va voir à toute heure :
Et souuent en ses yeux si content il demeure,
Qu’il perd le souuenir de retourner à moy.
Mais que sert-il à ma douleur,
Ou quel bon-heur est-ce à ma flame,
Qu’il la voye à toute heure auec les yeux de l’ame,
Si les yeux de mon corps sont priuez d’vn tel heur ?
Las ! au lieu d’en estre adoucy,
Mon tourment s’en rend plus sensible :
Et mon corps empesché par sa chaine inuisible
De la voir autrement, meurt de la voir ainsi.
Mes yeux, nourrissez-vous d’espoir,
Vostre nuict bien longuement dure :
Mais tout en fin se change, et n’est en la nature
Nuict qui n’ait vn matin, ny iour qui n’ait vn soir.
Ces chardons deuiendront des fleurs
Au printemps naissant de sa veuë :
Plus douce est vne ioye ardamment attenduë :
L’aise plaist doublement qui succede aux douleurs.
Regardez auec quelle foy
I’endure cent morts inhumaines :
Et puis que vous voyez, comme autheurs de mes peines,
Que ie souffre par vous, souffrez auecques moy.
Les Cieux inexorables
Me sont si rigoureux,
Que les plus miserables
Se comparans à moy se trouueroient heureux.