LA MORT DU FEU ROY
Si sentir vivement le mal qui nous fait plaindre
Nous faisoit d’autant plus vivement le depeindre,
Et si l’on pouvoit estre eloquent de douleur :
Ton trépas, grand monarque, eust bany mon silence,
Et seroient presque égaux, par ma triste eloquence,
Mes vers en ornement à ta mort en mal-heur.
Mais qu’il est difficile, és maux insuportables,
De trouver en pleurant des parolles sortables
Pour plaindre la douleur que font souffrir les cieux !
Et combien aysément, en l’ennuy qui nous touche,
Cela mesme tarit les beaux mots en la bouche,
Qui fait sourdre à boüillons les larmes dans les yeux !
La parolle deffaut aux ames plus dolentes :
Les petites douleurs sont seules eloquentes,
Et l’object trop sensible esteint le sentiment.
On ne peut bien parler estant à la torture :
Et celuy qui se dit mourir tant il endure,
Autant qu’il le dit bien, autant il se dément.
Las, il ne faut que moy pour en servir de preuve :
Car quand avec ta France, aujourd’huy triste et veuve,
Je me veux tout épandre en lamentables cris,
Soudain le discours manque à mon ame opressee,
Et la juste douleur ravit à ma pensee
Ce que l’affection promet à mes écrits.
Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/546
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