Page:Bertaut - Les Œuvres poétiques, éd. Chenevière, 1891.djvu/578

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Si je vy conservé par l’heur de vostre grace,
Vous m’entendrez chanter vostre juste pitié :
Si par vostre rigueur l’Acheron j’outrepasse,
Mourant j’orray vanter ma constante amitié.
Bien voudrois-je (et mes vœux soient exempts de blaspheme)
Oüir plustost vanter apres tant de tourment,
Vostre juste pitié que ma fermeté mesme :
Et plustost vivre heureux, que mourir constamment.
Aussi verray-je point qu’à la fin il vous plaise
Desarmer vostre sein de sa dure rigueur,
Et permettre en m’aymant qu’il saute de ma braise
Quelque ardente estincelle en vostre jeune cœur.
Si tant d’heur m’arrivoit, une secrette gloire,
De mes travaux passez adouciroit le fiel,
Et mon esprit alors auroit sujet de croire,
Qu’il se boit du nectar ailleurs que dans le ciel.
Mais quoy ! C’est souhaitter d’une ardeur impudente,
Ce qu’à peine les dieux oseroient desirer,
Et ne cognoistre pas qu’il faut en ceste attente,
Meriter davantage, ou bien moins esperer.
C’est bien assez que Dieu, d’un oeil doux et propice,
Regarde la victime, et le cœur qui se plaint,
Sans que bruslant encore au feu du sacrifice,
Mesme offrande consume et l’offrande et le saint.
Aussi (mon doux espoir) tout ce que je demande,
Lors que de mes souhaits j’importune les dieux :
C’est que mon cœur ardant soit trouvé digne offrande,
De vous sa vive idole, et du feu de vos yeux.
Encore est-ce un souhait impossible en nature :
Car pour offrir un cœur aux flames de vostre oeil,
Digne de sa lumiere et si saincte et si pure,
Il faudroit un phoenix comme vous un soleil.