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Page:Berthelot - Les mystères de Montréal, 1898.djvu/17

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Pendant la quatrième journée de la maladie d’Ursule elle eut une crise qui faillit avoir des conséquences fatales.

Le mal était à son paroxysme, mais grâce au traitement habile du médecin, la patiente échappa à la mort.

Malheureusement le cinquième jour il se déclara une conjonctivite purulente dans l’œil gauche d’Ursule.

Le cristallin fut attaqué et coula. La pauvre jeune fille avait perdu un œil.

Bénoni, en apprenant que son amante était devenue borgne, tomba dans un état de prostration. Il ressemblait à la statue de la désolation sculptée par la main de la douleur. Cet état de morne abattement, ce mal de mer de l’imagination, devint un délire brûlant qui l’étreignit pendant plusieurs heures.

Il s’assit au chevet de son amante, la tête dans ses mains, l’œil sombre et farouche.

S’il est vrai que la douleur mûrit hâtivement les hommes, Bénoni avait vieilli de dix années en une nuit.

La source de ses larmes était tarie.

Insensible aux bruits extérieurs du mouvement qui se faisait autour de lui, il n’attendait que les hoquets d’Ursule pendant son sommeil fiévreux.

L’esprit de Bénoni était chaos.

Il se livrait dans son cœur une lutte terrible entre son amour et le dégoût que lui donnaient les ravages de la hideuse maladie sur son ange adorée.

Ursule se réveilla.

Elle comprit toutes les tortures qu’avaient endurées son amant.

Un flot de sang lui monta au cœur et le fit battre violemment.

— Comme tu m’aimes, mon chou, murmura-t-elle d’une voix si douce qu’on l’eût prise pour un écho lointain du chant céleste des anges.

Bénoni, d’une voix entrecoupée par les sanglots, lui répéta à l’oreille les paroles d’amour qu’il lui avait adressées dans le Jardin Viger :

— À qui c’te belle gueule-là ?

— À poué, cher, répondit la malade en laissant retomber sa tête sur l’oreiller.