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piastres. Ses chaussures quoique rapiécées en plusieurs endroits étaient propres et luisantes.

C’était un homme d’une cinquantaine d’années, assez gras et d’une stature au-dessus de la moyenne.

Il portait des favoris, et l’ensemble de sa physionomie dénotait un esprit cauteleux et observateur.

Depuis une semaine, tous les matins vers neuf heures, on pouvait le voir arpentant la rue Saint-Denis en laissant traîner le bout ferré de sa canne sur les grandes dalles de granit qui composent le trottoir.

En passant vis-à-vis de la résidence du comte de Bouctouche, il levait toujours les yeux au balcon au-dessus de la porte et semblait épier les mouvements de tous ceux qui entraient dans la maison ou qui en sortaient.

Ce matin-là, vers onze heures, il vit arriver le notaire Maheu, portant sous le bras plusieurs documents officiels.

Le tabellion sonna à la porte du comte et entra.

L’homme au chapeau de castor gris eut un sourire de satisfaction.

Il plaça sa canne sous l’aisselle du bras gauche et se frotta les mains avec un contentement visible.

Il hâta le pas et continua sa marche jusqu’au Carré Saint-Louis.

Il s’approcha de la fontaine des Innocents et y but un peu d’eau dans une des tasses de zinc enchaînées à la petite colonnade en fonte.

Il se tint en arrière de la fontaine de manière à observer tout ce qui se passait devant la résidence du comte.

Le notaire faisait une visite prolongée à son client.

Midi sonna à l’église Saint-Jacques et il n’était pas encore sorti.

Le personnage mystérieux cependant ne perdait point patience.

Il reprit sa promenade vers la Côte à Baron, se retournant à chaque minute pour s’assurer si le notaire n’était pas sorti de chez le comte de Bouctouche.

À midi et demi, au moment où l’homme au chapeau de castor gris traversait la rue Sherbrooke, il vit le notaire sur le perron du comte prenant congé de son client.

Il s’arrêta court et se portant l’index au front il sembla prendre une résolution subite.

Il se dirigea vers la maison du comte, monta le perron et sonna hardiment.

La porte s’ouvrit et une servante lui dit d’entrer dans le salon, M. le comte serait à lui dans quelques instants.

L’inconnu se laissa choir dans un fauteuil moelleusement capitonné et recouvert d’une housse. Pendant quelques minutes il admira au