Aller au contenu

Page:Berthelot - Les mystères de Montréal, 1898.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
4

servit en guise d’éventail. Tout à coup les soufflets à vapeur furent mis en activité et leur voix agaçante se mêla au tintement de la cloche de St-Jacques annonçant l’« Angélus ».

Un jeune homme portant la livrée du travail entra dans le jardin tenant à la main une petite chaudière de fer blanc. Il s’avança dans l’allée où était la jeune fille et alla s’asseoir sans façon à côté d’elle.

La jeune fille paraissait accablée sous le poids d’une inquiétude cruelle. En voyant arriver le jeune homme, l’inconnue parut un peu décontenancée. Elle ôta de sa bouche la gomme qu’elle mâchouillait avec mélancolie et la cacha dans la poche de sa robe.

Le jeune homme déposa sa chaudière sur le sable de l’allée et se tournant vers la jeune fille :

Je ne m’attendais pas à vous voir aujourd’hui au rendez-vous. Ursule, vous paraissez bien pâle, êtes-vous malade ? Parlez.

Ursule leva les yeux vers le ciel et poussa un soupir langoureux.

Après un silence de quelques instants, elle dit : Bénoni, je souffre horriblement.

Éyou, ma chère ?

— Je sens une oppression dans le reintier.

J’ai des vents dans l’estomac et le cœur me toque comme une pataque dans un sabot.

— Oh ! ange bien aimée, reprit Bénoni, si tu tombais malade, qu’est-ce que je ferais ? Toi, ma vie, mon seul bonheur, l’espérance de ma jeunesse. Lorsque je suis loin de toi, mon cœur moisit dans l’isolement. La grosse picotte court partout dans le quartier. Pauvre enfant, si tu allais l’attraper.

— T’es pas fou le casque ! Le docteur Larocque m’a vaccinée il y a quinze jours.

— Oui, mon ange, mais la fatalité est toujours aveugle et inexorable, je redoute ses coups.

Ici Bénoni ôta le couvercle de sa chaudière et commença à manger son lunch, composé d’un chignon de pain bis, d’un morceau de tourquière et d’une pomme fameuse.

Le jeune homme, son repas terminé, se tourna vers sa compagne :

— Écoute, Ursule, tu me pardonneras, ce que je vais te dire est un peu « ruff ». Malgré toutes tes protestations d’amour, j’ai des doutances sur ton compte. Tu sais que je m’échigne à travailler depuis sept heures du matin jusqu’à six heures du soir pour ramasser quelques coppes afin de me mettre en ménage.