Hölderlin.
Certes, l’Empire était une belle et grande époque ! Il est pourtant beaucoup de choses de l’Empire que personne ne voudrait voir revivre. Parmi ces choses, il faut citer surtout l’abus des mœurs militaires. Ces mœurs en étaient venues à un tel point de brutalité que quiconque portait l’épaulette éprouvait et ne se gênait pas pour témoigner le plus profond mépris pour tout ce qui ne la portait pas. Le moindre colonel se croyait naïvement de beaucoup supérieur à Cuvier, et l’on ne saurait se figurer l’ineffable dédain que pratiquait tout officier à l’égard de ce qu’il nommait le pékin. Le pékin n’était point un homme. C’était une chose que l’on pouvait bafouer, insulter, battre, et même tuer sans scrupule. Ilote dépourvu de moustaches et qui ne traînait pas à ses côtés un grand sabre sur le pavé, malheur à lui s’il rencontrait des militaires après boire et la tête échauffée. Ils le regardaient en riant, ils lui décochaient des quolibets de corps-de-garde, ils lui marchaient sur le pied, ils le heurtaient de l’épaule, ou bien ils lui jetaient leur fourreau de sabre à travers les jambes. S’il supportait en silence ces insultes, ils le poursuivaient de huées ; si le rouge de l’indignation lui montait au visage et s’il demandait raison, on s’alignait avec lui, on croisait une épée habile sur son épée inexpérimentée. Une, deux, tirez droit, forcez l’épée ! La main faible du bourgeois ne résistait pas au rude poignet de son adversaire. Il tombait la poitrine percée, on l’enterrait et tout était dit : c’était un pékin de moins, voilà tout !