Page:Bertillon - Identification anthropométrique (1893).djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XXXVI
INTRODUCTION

des races, brunes avec blondes, grandes avec petites, etc. Quoi qu’il en soit, a priori, nous pouvons poser comme principe que notre vocabulaire descriptif sera d’autant plus conforme à la nature des choses et d’autant plus susceptible, par conséquent, d’être appliqué avec exactitude et facilité qu’il s’inspirera davantage de cette règle universelle.

La langue usuelle, fille de la nécessité journalière, n’a cure de ces idées générales. Le plus souvent elle ne dispose de mots que pour les cas extrêmes, bien tranchés, qui, par cela même, sont exceptionnels, et elle laisse inconsidérément de côté les intermédiaires, c’est-à-dire les neuf dixièmes des cas pour lesquels elle ne nous offre que les qualificatifs : ordinaire, moyen, commun, qui se résument tous dans le terme, également très employé, de néant.

Ainsi chacun sait, par exemple, ce qu’il faut entendre par yeux bleus et yeux marron (vulgo bruns). Mais quand il s’agit de qualifier les yeux mitoyens entre ces deux types ethniques (les blonds et les bruns), la langue usuelle ne nous fournit plus que des mots peu exacts où disparaît toute indication de gradation, de transition d’une catégorie à une autre. C’est ainsi que les yeux appelés d’habitude gris, verts, roux, noirs, etc., ne sont à proprement parler ni gris, ni verts, ni roux, ni noirs, mais participent tous plus ou moins de ces qualificatifs. Or ce sont précisément ces catégories mélangées qui, de par la nature des choses, avons-nous dit, doivent être et sont en effet de beaucoup les plus nombreuses. Nous expliquerons plus loin, en ce qui regarde la couleur de l’œil, comment le problème a été résolu.

Le nez nous offre un exemple analogue en ce qui regarde la forme. La langue usuelle nous parle de nez retroussé ou de nez en pied de marmite, de nez aquilin ou nez en bec d’aigle, mais elle serait incapable de nous fournir des termes pour la multitude des nez qui ne sont ni franchement retroussés, ni franchement aquilins.

Nous pourrions multiplier ces exemples qui tous tendraient à prouver que le peuple cherche non pas à décrire, mais à dépeindre, ce qui n’est pas la même chose, au moyen d’une comparaison ou d’une image, les formes qui le frappent, c’est-à-dire les formes exceptionnelles.

La belle avance pour le rédacteur de signalement qui, pris au dépourvu neuf fois sur dix, ne saura comment exprimer les configurations qui lui viendront sous les yeux et qui ne seront nette-