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Page:Berton - Ode à Eugène Le Roy, 1927.djvu/9

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Puis, c’était dans les bourgs et les cantons notoires,
Le grouillement bruyant des marchés et des foires ;
J’entendais des jurons et des cris égrillards,
Les claquements de mains des accordeurs[1] bavards ;
Et le soir, après un dernier et long vinage[2],
Je voyais les fermiers regagner leur village,
Les uns, vendeurs heureux, d’autres le poing tendu,
Ramenant à l’oustan[3] le bétail invendu…


Je voyais les bons vieux assis devant leurs portes,
Étreignant un bâton de leurs pauvres mains mortes,
Somnolents, tout honteux de ne plus travailler,
Attendant que la mort vienne les réveiller ;
Et lorsque l’Angelus sonne pour la prière,
Je les voyais lever leur front couleur de terre,
Comme s’ils regardaient monter dans le ciel bleu
La plainte que tout bas ils adressaient à Dieu…


Je revoyais, l’hiver, le soir, à la veillée,
Près de la cheminée où flambe une feuillée,
Aux fumeuses lueurs de l’antique calel[4]
Qu’on accroche au landier, d’un geste rituel,
Dans la vieille cuisine où l’on peut voir dans l’ombre
Les grands lits de noyer fermés d’un rideau sombre,

  1. Ceux qui, dans les foires, accordent le vendeur et l’acheteur.
  2. Vin que l’on boit dans les auberges pour conclure un marché.
  3. La maison.
  4. Ancienne lampe à huile.