Page:Bertrand - D’Alembert, 1889.djvu/198

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car son amour pour l’indépendance va jusqu’au fanatisme, au point qu’il se refuse souvent à des choses qui lui seraient agréables, lorsqu’il prévoit qu’elles pourraient être pour lui l’origine de quelque contrainte ; ce qui a fait dire avec raison à un de ses amis qu’il était esclave de sa liberté.

Quelques personnes le croient méchant, parce qu’il se moque sans scrupule des sots à prétention qui l’ennuient ; mais, si c’est un mal, c’est tout celui qu’il est capable de faire : il n’a ni le fiel ni la patience nécessaires pour aller au delà ; et il serait au désespoir de penser que quelqu’un fût malheureux par lui, même parmi ceux qui ont cherché le plus à lui nuire. Ce n’est pas qu’il oublie les mauvais procédés ni les injures, mais il ne sait s’en venger qu’en refusant constamment son amitié et sa confiance à ceux dont il a lieu de se plaindre.

L’expérience et l’exemple des autres lui ont appris en général qu’il faut se défier des hommes ; mais son extrême franchise ne lui permet pas de se défier d’aucun en particulier : il ne peut se persuader qu’on le trompe ; et ce défaut (car c’en est un, quoiqu’il vienne d’un bon principe) en produit chez lui un autre plus grand, c’est d’être trop aisément susceptible des impressions qu’on veut lui donner.

Sans famille et sans liens d’aucune espèce, abandonné de très bonne heure à lui-même, accoutumé dès son enfance à un genre de vie obscur et étroit, mais libre ; né, par bonheur pour lui, avec quelques talents et peu de passions, il a trouvé dans l’étude