Page:Bertrand - Gaspard de la nuit, éd. Asselineau, 1868.djvu/48

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me saluant la porta à ses lèvres flétries, et la replaça dans le livre mystérieux.

— « Cette fleur, me hasardai-je à lui dire, est sans doute le symbole de quelque doux amour enseveli ? Hélas ! nous avons tous dans le passé un jour de bonheur qui nous désenchante l’avenir.

— Vous êtes poète ? me répondit-il en souriant. »

Le fil de la conversation s’était noué : maintenant, sur quelle bobine allait-il s’envider ?

— « Poète, si c’est poète que d’avoir cherché l’art !

— Vous avez cherché l’art ! Et l’avez-vous trouvé ?

— Plût au ciel que l’art ne fût pas une chimère !

— Une chimère !... et moi aussi je l’ai cherché ! » s’écria-t-il avec l’enthousiasme du génie et l’emphase du triomphe.

Je le priai de m’apprendre à quel lunetier il devait sa découverte, l’art ayant été pour moi ce qu’est une aiguille dans une meule de foin...

— « J’avais résolu, dit-il, de chercher l’art comme au moyen-âge les rose-croix cherchèrent la pierre philosophale ; l’art, cette pierre philosophale du dix-neuvième siècle !

« Une question exerça d’abord ma scolastique. Je me demandai : Qu’est-ce que l’art ? — L’art est la science du poète. — Définition aussi limpide qu’un diamant de la plus belle eau.

« Mais quels sont les éléments de l’art ? Seconde question à laquelle j’hésitai pendant plusieurs mois de répondre. — Un soir qu’à la fumée d’une lampe je fossoyais le poudreux charnier d’un bouquiniste, j’y déterrai un petit livre en langue baroque et inintelligible, dont le titre s’armoriait d’un amphistère déroulant sur une banderole ces