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L’APPEL DU SOL

brouette, dans laquelle hurle son enfant. Les vieilles sont endimanchées. Elles ont mis, pour partir, leurs meilleures hardes. Elles relèvent lamentablement leurs robes pour ne pas se salir. Il y a là un petit bourgeois qui trottine ; ses trois filles se tiennent par la main : il gesticule avec son parapluie. Il est en veston, sans manteau, une serviette sous le bras, et, sur la tête, un chapeau haut de forme. Il dépasse les bornes du grotesque. On n’a plus envie de rire : il fait pitié.

Nul ne sait où il va. Nul, dans la tourmente, ne s’inquiète du lieu où il couchera le soir. Ils fuient. Ils se sauvent devant l’invasion.

Il y a moins de voitures à présent. Mais toute la chaussée regorge de soldats. Des enfants encore. Ce sont les régiments de l’armée active qui viennent d’être balayés. Et des vieillards aussi : les garde-voies des lignes ferrées. Ils ont vu la retraite. Alors ils s’en vont sans avoir reçu d’ordres, de peur d’être pris. Ils sont en bourgerons blancs sous l’eau qui ruisselle. Plusieurs, paternels, portent les enfants de femmes épuisées.

Il y a beaucoup de blessés toujours. On