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Page:Bertrand - L'appel du sol, 1916.djvu/51

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LA MORT D’UN SOLDAT

— Mon lieutenant, dit-il, ils sont là. Ils sont là. Je les ai vus !

— Bougre d’animal, répondit l’officier, calme-toi. Nous sommes ici pour les recevoir.

Il tâchait de les distinguer en fouillant avec ses jumelles le paysage. En effet, presque invisibles, des uniformes se dessinaient à la lisière des bouquets de bois, parmi les céréales : une ligne de tirailleurs marchant vers le ruisseau.

— Va prévenir le capitaine, dit-il à son ordonnance.

Tous les hommes tenaient leur fusil dans leurs lourdes mains. Ils serraient la crosse pour bien sentir sa protection. Ils ne se parlaient pas. Le danger de la mort leur paraissait plus réel que deux jours avant sous le bombardement. Tantôt, ils s’aplatissaient dans le fossé ou derrière la barricade, pour s’abriter ; tantôt, sans prudence, ils sortaient la tête, le buste, pour les voir arriver.

— Ils sont trop loin, déclara Serre.

L’officier repérait la distance avec minutie. Il se tenait au milieu de la route, sans penser au danger, sans émotion, sans conscience du reste de la grandeur de cette minute.