Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/312

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débordante envahissait son âme. Il retrouvait, pour une meilleure cause, l’éloquence de sa jeunesse. A son tour, comme Nartzal et Flavien, il exhortait les frères. Il leur disait :

« A quoi bon nous désoler ? Nous ne voulons pas de ce monde, qui nous persécute et qui nous torture. Pour quelle misère lui vendrions-nous nos âmes ? Travailler, prolifier, jouir, se divertir par ordre, voilà ce qu’il nous propose. Ah ! nous le vaincrons, ce monde de la matière et des sens, ce monde de la force et de l’iniquité ! Nous affirmerons la Justice et la Réalité uniques ! »

Et il pensait : « Ici même, j’aperçois déjà les prémices d’un monde meilleur. Les durs travailleurs que voici sont devenus des hommes doux, résignés, acceptant leur sort, quelquefois même avec enthousiasme. Ils sont le monde jeune, le monde vivant. Quelle différence avec l’ataraxie, l’abstention des stoïciens, leur dédain de la foule ! Ici, les conditions se rapprochent dans l’égalité des besoins. Les hommes fraternisent, se comprennent mieux par l’amour. C’est l’union de tous dans le Christ. »

Comme pour le confirmer dans ces pensées, chaque soir Nartzal rentrait de la tranchée tout frémissant, tout éperdu d’espoir, et il s’écriait, en embrassant les frères :

« Je vous le dis, en vérité, le Seigneur va venir ! »


Puis les jours se succédant sans que rien vînt modifier leur triste vie, cette interminable et vaine attente de la délivrance finit par briser encore une fois leur courage. Maintenant, les diacres espaçaient leurs visites. Mappalicus lui-même, occupé ailleurs, semblait délaisser les captifs. Un affreux sentiment de tristesse et d’abandon les pénétrait lentement, victorieusement. Ils se sentaient trop seuls, trop loin du monde. Pourtant, il y avait des frères dans la mine, il y en avait même un grand nombre, Mappalicus l’avait dit. Ils le savaient d’ailleurs. Quand des équipes de chrétiens étaient à proximité, soudain, à l’heure de la prière, trois coups espacés étaient frappés