Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/76

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les ruisseaux des rues les tonneaux de vin et d’huile, — et les files de confesseurs agenouillés, le cou tendu à la lame rouge du bourreau, les poteaux au milieu de l’arène, les bêtes fauves bondissant hors de leurs cages et les bûchers flambant aux portes des villes…

Quand Célérinus eut terminé la lecture de la lettre, l’évêque regarda Cécilius qui paraissait abasourdi, incapable de rassembler ses pensées, et il dit simplement :

« Voilà !… Toute l’horreur est là devant nous !.. Mes visions ne m’avaient pas trompé ! »

Et, soudain, avec une exaltation qui mit des éclairs dans son regard et comme un nimbe autour de son front :

« Ils peuvent crier maintenant : « Cyprien aux lions ! » Je suis prêt à rendre mon témoignage… Quand le Seigneur voudra… »

Un silence suivit ces paroles. Cécilius, comme frappé de stupeur par cette nouvelle que, pourtant, il aurait dû prévoir, n’osait pas lever les yeux vers Cyprien. Alors l’évêque, se penchant vers lui, dit avec douceur :

« Et toi, mon ami, que vas-tu faire ?

– Je ne sais ! »

Puis s’efforçant de dominer son trouble :

« Ces alertes sont fréquentes. Jusqu’ici nous avons été tranquilles à Cirta… D’ailleurs, je ne crains rien. Presque tous sont mes clients ou mes obligés.

– Tu dois avoir des ennemis, ou tout au moins des envieux, dit Cyprien. Tu ne peux pas savoir… Et si l’on te dénonce, que feras-tu ? »

Fièrement, celui qu’on avait comparé autrefois au césar Hadrien redressa sa tête sous sa couronne de cheveux gris :

« Je ne ferai rien, dit-il, dont tu doives rougir ! »

De nouveau, leurs volontés divergentes s’affrontaient et se défiaient. Enfin, Cécilius, avec un haussement d’épaules, comme s’il rejetait tout un fardeau de pensées importunes :

« Mais pourquoi t’émouvoir d’avance, sur des ru-