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Il y a plusieurs espèces de propositions. Contentons-nous de distinguer la proposition principale et la proposition incidente.

La proposition principale est celle de laquelle dépendent les autres. C’est par elle que commence une phrase construite sans inversion ; et elle commence elle-même ordinairement par un substantif ou par un pronom personnel.

La proposition incidente, surbordonnée à la proposition principale, est liée à celle-ci par un mot qui est toujours un pronom relatif ou une conjonction.

On donne aussi à la proposition principale le nom de primordiale, et à la proposition incidente celui de subordonnée ou de complétive.

On appelle phrase une ou plusieurs propositions qui présentent un sens achevé.

Mais quoiqu’une phrase puisse n’être formée que d’une seule proposition, il ne s’ensuit pas qu’une phrase soit la même chose qu’une proposition : il y a entre ces deux mots une différence essentielle que nous allons facilement saisir.

Dès que vous changez l’arrangement des mots, vous faites une autre phrase ; la proposition restera la même, quoique l’arrangement soit changé, tant que l’on ne changera rien au sens, à la signification, enfin tant que le jugement énoncé restera le même.



No III.

DU DISCOURS ET DE SES ÉLÉMENTS.




La fleur est la fille du matin, le charme du printemps, la source des parfums, la grâce des vierges, l’amour des poètes. Elle passe vite comme l’homme, mais elle rend doucement ses feuilles à la terre. On conserve l’essence de ses odeurs : ce sont ses pensées qui lui survivent. Chez les anciens, elle couronnait la coupe du banquet et les cheveux blancs du sage ; les premiers chrétiens en couvraient les martyrs et l’autel des catacombes. Aujourd’hui, et en mémoire de ces antiques jours, nous la mettons dans nos temples. Dans le monde, nous attribuons nos affections à ses couleurs ; l’espérance à sa verdure ; l’innocence à sa blancheur ; la pudeur à ses teintes de rose. Il y a des nations entières où elle est l’interprète des sentiments, livre charmant qui ne cause ni troubles ni guerres, et qui ne garde que l’histoire fugitive des révolutions du cœur.
(Chateaubriand.)


Cette belle description ; émaillée comme un véritable parterre, offre dans son ensemble ce qu’on appelle un discours[1].

Un discours est donc, comme on le voit, une série de pensées qui roulent sur le même sujet.

La série des pensées qui composent le discours que nous avons cité, se divise en plusieurs membres présentant, chacun, un sens complet.

PREMIER MEMBRE.

La fleur est la fille du matin, le charme du printemps, la source des parfums, la grâce des vierges, l’amour des poètes.

DEUXIÈME MEMBRE.

Elle passe vite comme l’homme, mais elle rend doucement ses feuilles à la terre.

TROISIÈME MEMBRE.

On conserve l’essence de ses odeurs : ce sont ses pensées qui lui survivent.

QUATRIÈME MEMBRE.
Chez les anciens, elle couronnait la coupe du banquet et les cheveux blancs du sage ; les premiers chrétiens en couvraient les martyrs et l’autel des catacombes.
CINQUIÈME MEMBRE.

Aujourd’hui, et en mémoire de ces antiques jours, nous la mettons dans nos temples.

SIXIÈME MEMBRE.

Dans le monde, nous attribuons nos affections à ses couleurs ; l’espérance à sa verdure ; l’innocence à sa blancheur ; la pudeur à ses teintes de rose.

SEPTIÈME MEMBRE.
Il y a des nations entières où elle est l’interprète des sentiments, livre charmant qui ne cause ni troubles ni guerres, et qui ne garde que l’histoire fugitive des révolutions du cœur.

Il y a donc sept membres dans ce discours. Ces divers membres se nomment phrases[2].

  1. Discours vient du mot latin discursus et signifie courses çà et là, d’où s’est formé discurrere, dont nous avons fait discourir, mot propre à peindre les opérations de l’esprit qui va d’une pensée à une autre et considère un sujet sous plusieurs points de vue.
  2. En latin phrasis, en grec phraso (je parle).