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Par les noms, nous tenons ainsi registre de tout ce qui existe, et de tout ce que nous avons vu ; même de ce que nous n’avons jamais vu, mais qu’on nous a nommé, en nous le faisant remarquer par ses rapports avec les objets que nous connaissons.

Aussi n’existe-t-il aucun être dont on puisse avoir besoin de se rappeler le souvenir, qui n’ait son nom ; puisque ce n’est que par cette espèce d’anse qu’on peut le saisir et le mettre sous les yeux ; aussi, dès qu’on entend parler d’un objet inconnu, demande-t-on à l’instant son nom, comme si ce nom seul le faisait connaître : mais ce nom rappelle un objet auquel on attache telle idée ; il le supplée en quelque sorte, et cela suffit.

Ne soyons donc pas étonnés que l’homme, qui parle de tout, qui étudie tout, qui tient note de tout, ait donné des noms à tout ce qui existe : à son corps et à toutes ses parties, à son âme et à toutes ses facultés, à cette multitude d’êtres qui couvrent la terre ou qui sont cachés dans son sein, qui remplissent les eaux ou qui traversent la vaste étendue de l’air ; au ciel, et à tous les êtres qui y brillent, et à tous ceux que son esprit y conçoit ; qu’il en donne aux montagnes, aux fleuves, aux rochers, aux forêts ; à ses habitations, à ses champs, aux fruits dont il se nourrit ; à ces instruments de toute espèce avec lesquels il exécute les plus grandes choses ; à tous les êtres qui composent la société ; à une femme chérie ; à des enfants, objets de toute son espérance ; à des amis auxquels son cœur est attaché et qui lui rendent la vie précieuse ; à des chefs qui veillent pour lui. C’est par leur nom que se perpétue d’âge en âge le souvenir de ces personnages illustres, qui méritèrent du genre humain par leurs bienfaits ou par leurs lumières.

Il fait plus : tantôt il donne des noms à des objets qui n’existent pas ; tantôt il en donne à une multitude d’êtres, comme s’ils n’en formaient qu’un seul ; souvent même il donne des noms aux qualités d’objets, afin d’en pouvoir parler de la même manière qu’il parle des objets dans lesquels ces qualités se trouvent.

Ainsi, les êtres se multiplient en quelque sorte pour lui à l’infini, puisqu’il élève à ce rang ce qui n’est pas, et les simples manières d’être des objets existants.

Le mot nom, dans son acception primitive, est considéré par les grammairiens comme la source d’où l’on a tiré toutes les autres espèces de mots, au moyen de quelques modifications qu’on lui fait subir, ainsi qu’on le voit dans nommer, nommément, nomination, nominal, qui tous proviennent du mot nom lui-même.

Quelquefois les noms changent de signification par le seul laps de temps : tels sont entre autres ceux de tyran et de parasite, maintenant aussi odieux qu’ils étaient jadis honorables.

Il y a plusieurs moyens mécaniques pour reconnaitre un substantif.

Ainsi tout mot devant lequel on peut placer un, une, du, de l’, de la, des, est un substantif ; or je puis dire : un peuplier, une rose, du sucre, de la prudence, des fleurs, donc les mots peuplier, rose, sucre, prudence, fleurs, sont des substantifs.

On connait aussi qu’un mot est substantif lorsqu’on peut y ajouter un autre mot exprimant une bonne ou une mauvaise qualité. Or, je puis dire : une belle tulipe, un beau magnolia, une grande pensée, un petit vieillard ; donc les mots tulipe, magnolia, pensée, vieillard, sont des substantifs.