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Page:Bessette - Le débutant, 1914.djvu/223

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le débutant

un soir que nous l’avons rencontré, Jacques et moi, et qu’il était gris.

— Et puis après ?

— Après, je l’ai vue passer dans la rue. Et c’est tout.

— Tant mieux pour toi.

Paul Mirot ne voulut pas accepter ce cadeau, prétextant que ce serait de l’indélicatesse, qu’il n’y tenait pas tant que cela, qu’il plaisantait. Et puis, il n’était pas encore assez riche pour se monter une galerie de peinture. En réalité, cette œuvre magnifique lui était odieuse maintenant. Qu’il ait pu se tromper à ce point, de confondre Simone avec cette vulgaire prostituée, cela lui paraissait monstrueux, inconcevable. La crise qu’il traversait égarait son esprit et l’empêchait de faire ce simple raisonnement, que la beauté est un don naturel qui échoit tout aussi bien à la plus misérable des femmes qu’à la plus digne et à la plus aimée.

La joie se demanda si le jeune maître était devenu subitement fou et lui dit :

— Tu m’épates, mon garçon. On dirait que tu viens d’apprendre qu’une vieille tante, dont tu convoitais l’héritage, n’est pas morte… Mais je suis bon prince, cette toile est à toi. Tu viendras la chercher un autre jour, si le cœur t’en dit.

Lajoie remonta sur son escabeau et Paul Mirot s’en alla.

Dans la rue, le froid vif de l’hiver lui fit du bien. Il était furieux et content à la fois : content de ne plus douter de la fidélité de Simone, et furieux contre cette May ayant si odieusement profané sa beauté après avoir posé pour une œuvre qu’il avait cru faite de la grâce de celle qu’il aimait toujours.

Et il se souvint que dans son livre il réclamait plus

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