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Page:Bessette - Le débutant, 1914.djvu/97

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le débutant


iv

L’AMOUR QUI FAIT HOMME.




Elle s’était assise au piano, et, lui, assis sur un divan, dans un coin du salon, regardait ses blanches mains, petites et potelées, parcourir le clavier d’ivoire. Elle jouait la valse qu’il aimait. C’était l’hiver, il neigeait dans la rue, le soir tombait. Depuis des mois, Paul Mirot avait vécu ainsi de ces heures exquises dont on garde un impérissable souvenir qui, plus tard, après le grand naufrage des illusions, quand les années ont flétri le corps et endeuillé l’âme, est l’unique bien qui reste pour combler le vide d’une existence à son déclin.

Madame Laperle, Simone, comme elle l’avait depuis quelques jours autorisé à la nommer, était une excellente musicienne : elle savait mettre du sentiment, beaucoup de son charme personnel, dans l’interprétation d’une œuvre musicale. D’ailleurs, tout était harmonie, tout était musique en elle depuis l’éclosion tardive de l’amour en son cœur. Au couvent, on avait voulu détourner le penchant de sa nature exubérante pour les joies terrestres, en lui imposant des règles sévères et la pratique d’une dévotion outrée. Puis, sans doute afin de la récompenser de ses années de prières et de mortifications, on la maria à dix-huit ans, à un homme d’âge mûr, qu’elle n’aimait pas, qu’elle connaissait à peine, et ce fut encore pis que le couvent. L’homme à qui on la livra, comme une vierge tremblante achetée sur un marché d’esclaves, avait fait toute sa fortune dans les mines de la Colombie Anglaise, et rapporté de cette région minière à

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