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tous les murs. Fils de marin, Corbière avait aimé de bonne heure la mer et les marins. Peu après son installation à Roscoff, il eut le désir de posséder un canot ; son père lui en fit construire un, et il navigua ainsi quelques années sur la mer de son pays, le canot bientôt remplacé par un cotre, appelé le Négrier, en souvenir des romans paternels, dont il était grand admirateur. C’est au cours de ces promenades maritimes qu’il composa ses premiers poèmes : Matelots, Le Mousse, Bossu-Bitor, Le Renégat, La Fin, Le Douanier, dans lesquels les « gens de mer », comme il les appelait lui-même, sont chantés comme ils l’ont été rarement. Le séjour de Corbière à Roscoff fut interrompu à deux reprises, en 1868 et 1869, par deux voyages qu’il fit en Palestine et en Italie avec le peintre Hamon. On trouve dans son œuvre des souvenirs de son passage en Italie, pays qui lui déplaisait :

Voir Naples et... Fort bien, merci, j’en viens. Patrie

D’Anglais en vrai, mal peints sur fond bleu-perruquier.

Pendant la guerre de 1870, trop malade pour prendre part à la campagne, Corbière resta à Roscoff. C’est là que vint le chercher en 1871, alors qu’il semblait ne plus devoir quitter cette ville, l’aventure la plus importante de sa vie, qui devait lui fournir le titre de son livre et lui en inspirer les pièces les plus curieuses. Ayant fait connaissance à la table de sa pension avec deux touristes, le comte de B... et sa maîtresse, il en résulta pour lui une liaison sentimentale qui amena bientôt son départ pour Paris. Installé rue Montmartre, dans une petite chambre où il n’avait pour tout mobilier qu’un coffre à bois sur lequel il couchait tout habillé, Corbière commença alors cette existence de bohème noctambule qui devait le tuer, dormant le jour, déjeunant à minuit, traînant dans les cafés littéraires, travaillant en flânant. Il publia quelques vers dans la Vie Parisienne, exactement dans six numéros (mai à octobre 1873), et, conquis définitivement par la littérature, s’occupa de réunir ses poèmes. L’éditeur trouvé, et son père ayant consenti à payer une partie des frais d’édition, Les Amours Jaunes parurent en décembre 1873. L’indifférence la plus complète accueillit ce volume, dont personne ne parla à l’époque. Cet insuccès ne pouvait affecter Corbière, qui ne songeait guère au public en écrivant. Les Amours Jaunes parus, il se remit au travail, songeant à publier un autre volume qu’il voulait intituler Mirlitons. Malheureusement, malade pour ainsi dire de naissance, les veilles ne tardèrent pas à l’user complètement. Un matin, des amis le trouvèrent évanoui sur le carreau de sa chambre. On le transporta à la Maison Dubois, où il resta quelque temps, n’ayant rien perdu de sa dure moquerie, toujours