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MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

négligemment. Sur le portrait du baron Gérard, elle porte une couronne de boucles extrêmement régulières. On dirait que le coiffeur vient d’en retirer la baguette.

S’il n’y a aucune divergence d’idée sur la nuance des cheveux de Mme de Staël, les témoins ne sont pas d’accord sur celle de ses yeux. Guibert[1], Lamartine[2], Mallet[3], et beaucoup d’autres parlent de leur couleur noire. Mme Necker nous apprend que la petite Germaine avait en naissant des « beaux yeux bleus d’une couleur pure comme celle du ciel »[4]. Chose étrange, les peintres ont tous reproduit les yeux clairs de la première enfance : pâle transparence du premier Massot, yeux verts de Mme Gérard, yeux verts de Mme Vigée Le Brun, iris vert clair cerclé de noir, seule beauté véritable exprimée par le baron Gérard. Quelque fût la couleur de ces grands yeux, tous ont vanté leur magnificence. « Elle n’a guère de beau que les yeux, disait Wieland[5] ». À la première rencontre, Mme Récamier se sentit frappée par eux[6]. « Tout l’esprit de Mme de Staël était dans ses yeux qui étaient superbes, disait Chênedollé »[7]. Le dernier éloge accordé à ces yeux splendides quand ils moururent, leur fut donné par Chateaubriand lorsqu’il vint dire adieu à l’agonisante : « Son beau regard me rencontra dans les ténèbres » et elle me dit : « Bonjour my dear Francis. Je souffre mais cela ne m’empêche pas de vous aimer »[8].

Les contemporains, sévères souvent, nous l’avons souvent déjà constaté, pour le physique de Mme de Staël, ne sont pas plus indulgents pour ses toilettes. Mme Necker de Saussure ne vous dissimule pas leurs négligences : garniture détachée, bonnet oublié[9]. Quand Mme de Staël fut présentée à la cour de Louis XVI, un « falbala de sa jupe » se dérangea juste au moment de la présentation. La Reine fit appeler Mlle Bertin, pour réparer cet accident[10]. D’autres esprits critiques reprochent à Mme de Staël son mauvais goût. « Elle a absolument

  1. Guibert, Portrait de Mme de Staël.
  2. Lamartine, Souvenirs et portraits, Paris, Hachette, I, p. 213.
  3. Souvenirs de J.-S. Mallet, cités par Kohler, cop. cit., p. 622.
  4. Haussonville, Le salon de Mme Necker…, II, p. 26.
  5. Usteri (Paul) et Ritter (Eugène), op. cit., p. 238.
  6. Lenormant (Mme), Mme Récamier, les amis de sa jeunesse et sa correspondance intime, p. 24,25.
  7. Extraits du journal de Chénédollé…, par Mme Paul de Samie, Caen. Domin, 1922, in-8°, p. 127.
  8. Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe.
  9. Necker de Saussure (Mme), Notice sur le caractère et les écrits de Mme de Staël, p. 38.
  10. Lescure (de), Correspondance secrète inédite sur Louis XVI, Marie-Antoinette… Paris, Plon, 1866, II, p. 13.