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MADAME DE STAËL D’APRÈS SES PORTRAITS

l’air d’une femme de chambre » estime Gouverneur Morris[1]. Le jour de sa première rencontre avec Bonaparte, elle portait une toilette éclatante et ridicule. Mme de Monterson la reçut chez elle après la disgrâce de Benjamin Constant, engoncée dans « sa grosse robe de satin gris ardoise »[2]. Une certaine gaucherie de mouvements pouvait ajouter au ridicule de ces costumes[3]. Seule, la grande duchesse de Weimar estime que Delphine venait au bal avec des toilettes d’un goût parfait[4].

Suivant l’habitude des grandes dames de l’Ancien Régime, Mme de Staël ne craignait pas de s’habiller en public ; elle faisait sa toilette « en présence des jeunes messieurs qu’elle recevait familièrement[5] » ; devant un Allemand bien poudré, habillé de noir des pieds à la tête, elle se montra en jupon court et en simple chemise[6] ; la nuit où Benjamin Constant s’empoisonna, elle apparut, vêtue d’un manteau mal boutonné et coiffée d’un bonnet. Norvins nous décrit la cour qui assistait à son interminable toilette. Mme de Staël parlait, parlait pendant deux heures au moins, « dérangeant toujours tout ce que sa femme de chambre refaisait sans cesse à sa coiffure, quand, dans l’abandon de la conversation, la tête de sa maîtresse ne lui échappait pas toute entière ». Le soir elle recevait près de son lit ; ses gestes animés découvraient la perfection de son bras et de son cou[7].

Mme de Staël avait aussi le goût perpétuel des grands décolletés qu’elle gardait même en plein jour et dans toutes les circonstances de la vie. Mme de Boigne la rencontra à Lyon, dans une chambre d’auberge à midi, vêtue d’une tunique de mousseline blanche, les « bras et les épaules nus », sans châle et sans écharpe ni voile d’aucune sorte[8]. En excursion de montagne, elle s’en allait aussi, les bras et les épaules découverts et elle s’en revenait brûlée de coups de soleil[9].

Sauf sur les tout premiers portraits,. les toilettes de Mme de Staël affectent toutes une forme plus ou moins antique, suivant l’usage de l’époque. À ce point de vue, Germaine Necker fut un précur-

  1. Gouverneur Morris, Journal, Paris, Plon, 1901, p. 7.
  2. Chastenay (Mme de), Mémoires, I, p. 420.
  3. « Elle avait peu de succès ; chacun la trouvait laide, gauche, empruntée surtout ». Oberkirch (Baronne d’), Mémoires, Paris, Charpentier, 1869, in-12 ; II, p. 225.
  4. Bogarowski, Louise, grande duchesse de Saxe-Weimar, p. 341.
  5. Mélanges d’histoire littéraire par G. F. avec des lettres inédites d’A.-G. Schlegel, publiés par J. Adut, Genève, 1856.
  6. Varnhagen von Ense, Mémoires et Mélanges, I, p. 190-193.
  7. Norvins, Mémorial, Paris, Plon, 1896, II, p. 152.
  8. Boigne (Mme de), Mémoires, I, p. 247.
  9. Kolher, Mme de Staël et la Suisse, p. 469.