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Page:Bias - Les Faux Monnayeurs.djvu/20

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— Puisque je ne tiens pas à autre chose, en souriant de son air bonhomme.

Mais chacun sait à quoi s’en tenir sur le compte des frères Radèze, et, d’un bout à l’autre de la rue, on répète que le vieux Félix se prive de tout, pour satisfaire aux exigences du jeune Anatole.

— Il est si bête !

Telle était l’expression consacrée. Et, en effet, il n’y a pas un chat malade qu’il ne soigne, un chien blessé qu’il n’entreprenne de guérir ; et, si jamais, le premier, il n’adresse la parole à ses voisins, ceux-ci le trouvent toujours prêt quand ils ont besoin de lui. On glose sur sa bonté qui dégénère en sottise, mais l’on rend justice à son obligeance dont on profite. Si Félix Radèze était riche, il prêterait sa bourse, personne n’en doute, comme il prête ses bras ou ses jambes, selon que les amis ont besoin d’un aide ou d’un commissionnaire.

Il est vrai qu’en dépit des remontrances de ses confrères, il se permet parfois un luxe de générosité fort au-dessus de ses moyens. C’est ainsi qu’un soir il ramassa au coin d’une borne un paquet, dont le contenu resta un mystère jusqu’au lendemain. Mais le jour suivant, un bruit se répandit dans la rue des Filles-Dieu, et la boutique de Radèze se trouva bientôt encombrée de curieux : la trouvaille du brocanteur était une petite fille bien portante, belle à ravir, et enveloppée de langes remarquablement fins. Félix l’avait, dit-il, trouvée endormie.

Ce n’est pas tout ça, dit la mère Lapointe, une vieille femme sèche, au teint de pain d’épice, qui était bien la commère la plus bavarde et la plus mêle-tout du quartier, qu’est-ce que tu vas faire de cet enfant-là ?

— Je n’en sais trop rien, répondit niaisement le brocanteur.

— Eh bien, il faut aller tout de suite chez le commissaire, lui déclarer la chose et te débarrasser. Tu n’as pas l’intention de te faire nourrice, je, suppose ?

Radèze se mit à rire pour faire comme tout le monde, prit l’enfant trouvée, et se dirigea vers le bureau de police.

La journée se passa, au grand étonnement des badauds, sans qu’il revint.