Page:Bibaud - Méprise, 1908.djvu/9

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— Et tu ne me fais pas l’honneur de supposer qu’il me soit jamais possible d’appartenir à cette catégorie ?

— Je dois l’avouer. Je sais qu’avec ta diplomatie tu te sens certain d’avance de pouvoir te tirer d’affaires dans les occasions les plus difficiles, en conséquence tu agis souvent avec une légèreté de caractère qui m’étonne chez un homme d’esprit comme toi et même j’en ai été parfois vexé. Je dirai plus encore, à la place de ta fiancée je t’aurais donné congé.

— Heureusement Jeanne ne pense pas comme toi.

— Oui, heureusement. Comme je te dis les femmes sont incompréhensibles, voilà pourquoi Jeanne persiste à t’aimer malgré tes travers.

— Merci, Raoul, si tu n’étais pas mon meilleur ami je te ferais sentir que tes remarques sont fort impertinentes.

— Mais, comme je suis ton meilleur ami tu peux simplement penser que je te dis la vérité. Après tout elle n’est pas si mauvaise puisque tu restes, malgré tes torts, en possession du cœur de la femme qui est assez folle pour t’aimer.

Nous étions à la porte de la demeure de Melle H…, une voix douce, partant de l’intérieur parvint jusqu’à nous.

— Qui chante, demandai-je à Réal, connais-tu cette voix ?

— C’est Jeanne, fit-il.

En écoutant je pus reconnaître ces vers qu’elle disait avec beaucoup d’expression :

« Mon âme par la tienne est toujours devinée,
Vers la tienne mon âme est sans cesse tournée
Ainsi que vers le Nord se dirige l’aimant.
S’aimer tous deux ainsi, c’est une joie immense
Qui jamais ne finit et toujours recommence.
Du ciel c’est un pressentiment. »

À cette dernière stance Réal devint sans doute impatient de revoir sa fiancée et sans me prévenir tira le cordon de la sonnette.

— Singulier homme, pensai-je, il aime cette femme, c’est évident, cependant il ne se gêne pas de m’avouer qu’il lui faut des variations. En lisant Madame de Girardin dans « Marguerite ou deux Amours », on se dit : Cet auteur brode, une