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La théorie de l’accent français nous paraît encore très incomplète. Il y aurait bien des choses à dire sur l’accent. Il faudrait montrer qu’il est plus varié qu’on ne le prétend généralement, et qu’il ne réside pas seulement sur la dernière (syllabe masculine ; drapeau) et sur la pénultième (lampe, syllabe féminine), mais parfois, mais assez souvent sur l’antépénultième. Mais quoi qu’on pense de son allure, de ses déplacements, de ses variétés, une chose reste : c’est que l’accent français est faible, terne ; tellement terne, monotone, qu’un éminent professeur s’est hasardé à dire un jour devant nous : « Le français n’a point d’accent ! » Ainsi la césure, à laquelle M. France tient tant, a beau le mettre en relief, cet accent, soit dans l’alexandrin, soit dans le décasyllabe, le mettre à douze ou dix syllabes, serait, en raison de cette faiblesse phonétique de l’accent, toujours traînant, toujours languissant, sans ce coup de cloche final qui, en relevant les sons précédents, leur donne et la personnalité du vers et la pleine possession du rhythme.

Le rhythme étant — d’après une des meilleures définitions qui en aient été données — la succession symétrique de plusieurs coups ou battements, rien ne caractérisera mieux cette succession que l’alternance ou l’entre-croisement des rimes masculines ou féminines. La besogne plastique et acoustique indiquée par le nombre, affermie par la césure, continuée par les accents toniques, ou fixes, ou variables, avorterait piteusement sans la rime, qui la refond en la complétant. L’Anglais, l’Allemand, l’Italien peuvent écrire leurs épopées et leurs drames en vers blancs, précisément à cause de la vive résonance de leurs accents ; cette intensité de l’arsis est telle, en allemand, que les Germains distinguent parfois en un même mot l’ac-