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sur des pièces de coton teint, des serges et des béguines rouges, dont la couleur tranchait sur les feutres noirs pour chapeaux ou sur les grosses étoffes arabes appelées burde, rayées noir et jaune. Çà et là, quelque objet disparate, une balance d’Alexandrie, une serrure sarrazine attestaient la provenance de la cargaison.

La garde-robe de l’équipage était assez mal montée : un matelas, une couverture et un tapis par homme, des tuniques de gros drap et des jaques de bougran n’avaient guère de valeur. Si vous cherchez un signe de la richesse relative de chacun, sachez que le patron avait quatre paires de culottes et de chemises, et ses matelots seulement deux. En tenue de ville, il avait sans doute grand air, le patron, avec ses fourrures de peaux de lapin, sa culotte de soie, le sifflet d’argent sur la poitrine et le ventre sanglé de la courroie de cuir où pendaient une bourse, des tablettes pour écrire, un encrier et des roseaux comme plume.

Le second patron n’était pas moins coquet. Un capuchon vert fourré de cendal rouge retombait sur une cotte-hardie lombarde que fermaient des boutons d’ambre ou d’ivoire ; il portait une bourse de soie au côté. Particulièrement chargé des marchandises, il avait un timbre, un fer, pour les marquer.

Dans ces parages infestés de pirates, on pense bien que les douze hommes de l’équipage étaient armés jusqu’aux dents. Leur gorgerine s’adaptait à un chapeau d’acier, d’où une cervelière parfois descendait sur la nuque. Sous la cuirasse couvrant la poitrine, une jaque d’armes enveloppait tout le buste. Un gant de fer garantissait la main droite qui maniait la lance ou le poignard ; un écu pendait au bras gauche. Le patron, reconnaissable à sa cuirasse couverte de soie rouge, avait en outre deux arbalètes, et le second un arc damasquiné. C’était toute l’artillerie du bord.

L’inventaire, à ce point de vue, est un petit tableau de genre, où se meuvent, s’habillent et s’arment les redoutables marins qui nous infligeaient, huit ans auparavant, les terribles défaites navales de Las Hormigas et de Rosas.

Mais, pour curieux qu’il paraisse, il n’aurait qu’un intérêt secondaire, s’il ne jetait quelques lueurs sur les origines de la navigation hauturière, c’est-à-dire de la navigation rationnelle substituée à la routine empirique du cabotage. Il me reste, en effet, à parler des instruments de pilotage qui se trouvaient à bord du Saint-Nicolas.