Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/172

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disant que ce qu’il y a de plus développé chez Armande, c’est l’imagerie spontanée, et chez Marguerite l’imagerie volontaire. Armande a la conscience très nette que lorsqu’elle pense, lorsqu’elle fait un travail de réflexion, ce travail peut se composer de deux parties, une partie image, qui a lieu involontairement, et une partie de réflexion, qui est tout à fait son œuvre. Voici en effet comment elle trouve les 20 mots à écrire dans une expérience que j’ai décrite longuement : « Je cherche et je vois des images qui défilent devant moi comme quand je n’ai rien à faire. Alors je vois une image, et je réfléchis que je peux prendre un mot qui s’y rapporte. Je vois un œil, et j’écris regard. Si je vois une forêt avec le ciel, un ensemble, j’écris paysage, et s’il y a de l’eau j’écris liquide. — D. Alors l’opération se compose de deux parties… — R (interrompant). D’une partie qui m’apparaît sans que je cherche et j’arrange ça avec des réflexions pour en tirer des mots. — D. De ces deux parties, y en a-t-il une qui est plus volontaire que l’autre ? — R. Mais il y en a une qui est involontaire, puisque c’est malgré moi que les images arrivent. L’autre est naturellement la plus volontaire. » J’aurais pensé qu’il en est de même pour les images auditives, et qu’Armande pouvait bien entendre des paroles, comme cela arrive, par exemple, à Curel quand il compose[1], mais Armande m’a assuré qu’elle n’entend rien, que c’est « elle qui parle pour ses images ».

Les explications données par Marguerite pour ses images visuelles sont toutes différentes : elle a, dit-elle, pendant un travail intellectuel, des réflexions imagées (le mot est d’elle), mais ces images lui paraissent toujours volontaires : elle a conscience de les chercher, de les provoquer, elle n’est point étonnée de leur apparition. Sa personnalité psychique paraît donc plus cohérente, mieux

  1. Année psychologique, I, p. 119.