Page:Binet - L’étude expérimentale de l’intelligence.djvu/64

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vidualité ; et si je me trompe dans l’appréciation de tel ou tel mot, il est vraisemblable que je ne puis pas me tromper pour l’ensemble. De plus, ce que je sais de la vie privée de mes deux fillettes me permet de fixer par rapport à elles la valeur sociale des mots qu’elles emploient ; ainsi, je ne leur ferai pas un mérite d’écrire les mots psychologie, audition colorée, etc., qu’elles entendent souvent prononcer autour d’elles et qu’elles répètent en écho.

Il existe donc une différence dans le vocabulaire des deux sœurs ; cette différence est des plus nettes ; et je trouve bien curieux qu’Armande, qui est la cadette, ait une langue plus savante et plus recherchée que sa sœur.

La nature du vocabulaire est donc en relation avec la nature du type intellectuel, même dans les expériences où les mots semblent écrits au hasard, dans des séries incohérentes. La pensée abstraite d’Armande provoque tout naturellement chez elle un développement du vocabulaire abstrait ; et quant à son vocabulaire aristocratique, je crois qu’on peut l’attribuer à ce goût pour le verbalisme, dont elle nous donnera des preuves, dans des expériences subséquentes. Peu importent, du reste, pour le moment, les explications dernières. Ce qu’il me paraît bien intéressant de mettre en lumière, c’est que deux jeunes filles, quoique élevées absolument dans le même milieu verbal, ne parlent pas le même langage, parce que le facteur intelligent est intervenu pour déterminer un choix dans le vocabulaire ambiant ; il y a une influence du dedans, l’individualité psychologique, qui a modifié l’influence du dehors.