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INTRODUCTION

sérieuses raisons de me défier quelque peu des assertions de Binet, ayant entrepris ici même la critique de la biographie qu’il a consacrée à Ronsard. Il ne fut lié que dans les dernières années avec le poète, et celui-ci ne lui a dédié aucune des pièces parues de son vivant ; il s’est trop vanté des confidences que lui aurait faites Ronsard et s’est trop « honoré de se frotter à sa robe quand il vivoit » pour qu’on lui accorde une entière confiance ; c’est d’ailleurs un panégyriste posthume, qui substitue trop souvent le roman et la rhétorique à l’histoire[1]. » Mais un travail plus important et de plus longue haleine sur l’œuvre lyrique de Ronsard m’empêcha de réaliser mon projet aussitôt que je l’eusse voulu. À la fin de 1905, je fus devancé par Mlle Hélène Evers, alors étudiante à l’université de Bryn Mawr (Philadelphie)[2].

Ce m’est un devoir fort agréable de rendre hommage au mérite de Mlle Evers, d’autant plus grand que ses conditions de travail étaient plus défavorables. Je sais quelles difficultés elle eut à vaincre, si loin de notre Bibliothèque Nationale, des trois textes de Binet et de la collection des éditions primitives de Ronsard, n’ayant à sa disposition que des sources d’information incomplète, que des moyens d’enquête restreints et imparfaits. Douée d’un jugement pénétrant, guidée par un excellent maître, M. Lucien Foulet, que des considérations analogues aux miennes, mais personnelles, avaient conduit à suspecter la véracité de Binet, elle a réussi à faire une œuvre intéressante et utile. Si, par les articles de revue que Mlle Evers a souvent cités, j’y ai contribué dans une certaine mesure, en revanche son édition m’a rendu des services réels, attirant mon attention sur des points que j’aurais peut-être négligés, confirmant mes raisons de douter, m’offrant enfin plus d’une occasion d’argumenter.

De la discussion naît parfois la lumière. C’est un des motifs qui m’ont déterminé à poursuivre mon projet d’édition. J’en expose plus loin quelques autres d’ordre purement technique. Je dirai seulement ici qu’une édition critique française était nécessaire après celle que Mlle Evers a rédigée en anglais ; qu’il fallait en faire disparaître des inexactitudes et des erreurs presque inévitables ; que les sources d’information et de rédaction de Binet devaient être complétées ; enfin que son texte même devait être éclairé par un commentaire historique abondant, que, pour bien des raisons, Mlle Evers ne pouvait songer à entreprendre.


II


Dans quelles conditions et dans quelles circonstances précises Claude Binet a-t-il composé le Discours de la vie de Ronsard ? Pour répondre à cette question, il faudrait d’abord être fixé sur la date où il fit la connaissance du poète et sur les relations qu’il eut avec lui. Il nous dit qu’il était encore « jeune d’ans et d’experience, n’ayant pas encore

  1. Rev. de la Renaiss., oct. 1902. p. 82. Tirage à part, Rennes, F. Simon, 1903, p. 14.
  2. Critical edition of the Discours de la vie de Ronsard par Cl. Binet. Voir ma Bibliographie.